L'abstraction du savoir : l'écriture change notre manière de penser
Fondamental : Problématique
Jack Goody, au cours de ses recherches, a remarqué que les sociétés ne possédant pas l'écriture utilisaient un mode de raisonnement différent des sociétés la possédant. Ces différences s'illustrent notamment dans le domaine des mathématiques.
Exemple : Le calcul mental chez les LoDagaa
Jack Goody a eu l'occasion d'étudier les LoDagaa, une société du Ghana, alors qu'ils étaient en contact avec l'écriture pour la première fois grâce aux écoles qui venaient d'être installées. Goody a donc pu constater l'influence de l'écriture en comparant les différences entre les procédés de calcul des enfants scolarisés et ceux ne l'étant pas.
Alors que les enfants scolarisés, davantage habitués à la décomposition en unités comptent d'une façon similaire (fastidieuse et peu économique en temps) à l'anthropologue, les enfants non scolarisés font appel à une méthode beaucoup plus concrète et plus rapide. Pour décompter des petits objets, comme les cauris (la monnaie locale) les LoDagaa utilisent la méthode suivante :
Ils isolent les cauris par groupement de cinq : un nombre facile à évaluer d'un seul coup d'œil et facile à manipuler d'une seule main
Quatre tas de cinq sont rassemblés en un tas de vingt
Cinq tas de vingt sont rassemblés en un tas de cent
Et ainsi de suite...
Informations[1]En revanche, quand il s'agit de la multiplication, c'est ici Jack Goody qui se trouve plus efficace de les LoDagaa. La raison est simple : c'est l'utilisation de tables qui permet de gagner du temps. Le principe de tableau, caractéristique de l'écriture et favorisant ici l'exercice "oral", est étranger à l'ethnie.
Goody s'oppose en revanche à Lévy-Bruhl[2] et Lévi-Strauss en spécifiant bien qu'il n'est ni question d'absence de pensée abstraite, ni d'opposition entre "science du concret" et "science de l'abstrait".
La différence n'est pas au niveau de la pensée ou des mentalités (ndlr : pas un manque de faculté d'abstraction); elle est surtout dans les moyens matériels de communication, qui servent non-seulement dans la relation avec autrui mais aussi lorsqu'un individu “se parle à lui même” : calcul mental ou discours intérieur.
Ainsi, on constate que l'apprentissage de l'écriture modifie le schéma mental d'un individu. Les opérations plus complexes, nécessitant un degré d'abstraction plus élevé (telles que la division et la multiplication), reviennent à des schémas mentaux pour les individus sachant écrire. L'écriture permet donc une plus grande abstraction. On peut remarquer la différence de ces calculs avec l'utilisation de l'addition et de la soustraction qui sont des procédés de nature plus concrète.
Remarque :
La connaissance de l'écrit (et des utilisations graphiques qui en découlent) a donc une influence très forte sur les procédés cognitifs mis en œuvre par une personne.
Complément : Lutter contre la pensée binaire
Au cours de son livre, Jack Goody critique Durkheim, Weber et Comte[3] en se plaçant contre l'opposition du « nous/eux » « primitifs /civilisés » qui pousse l'analyste à porter un jugement de valeur dans sa comparaison. Il approuve en revanche une distinction en terme de « pensée domestiquée/pensée sauvage », ou « chaud/froid » de Claude Levi-Strauss[4] par exemple qui bannit le jugement de valeur et permet à l'anthropologue d'aborder son analyse avec objectivité, en se détachant de sa propre société d'origine.
