Confession d’un poêle de masse

Enchanté, moi c'est le poêle de masse du grand salon. Je trône dans ce vaste espace collectif, afin d’apporter de la chaleur aux humains mis à rude épreuve par l’hiver picard et les pénuries énergétiques. Je ne le cache pas, j'en suis pas peu fier. Toutes les salles de l’Upload ne peuvent être chauffées, mais vous pourrez toujours compter sur moi pour vous apporter le réconfort physique et moral dont vous avez besoin. Car attention, je ne suis pas qu’un vulgaire moyen de chauffage, oh non, je suis bien plus que ça ! Voulant réchauffer leurs corps, les Ups se réunissent autour de moi, créant des moments festifs ou intimes qui réchauffent aussi les cœurs. C’est sûrement pour ça que je suis l’un des rares objets, peut-être même le seul, à avoir mon propre surnom. Petit cœur, qu’iels me nomment. Et j'en suis pas peu fier ! C’est d'autant plus mignon que je pèse en fait plusieurs tonnes. Vous ne me croyez pas ? Et pourtant ! Moi, je n’ai rien à voir avec le poêle classique tout rachitique que vous auriez croisé ici ou là. Moi, c’est ma masse qui fait ma force, normal, puisque je suis un poêle de masse ! Vous ne comprenez pas ? Laissez-moi vous expliquer…

Je me nourris de bois, une ressource locale et renouvelable si elle est bien gérée, c'est à dire si la quantité prélevée chaque année n'excéde pas la quantité naturellement produite. Les Ups n'excèdent pas, donc ça c'est bien. C'est classique. C'est ensuite que ça se joue. Contrairement aux petits poêles tout légers, les classiques, les rachitiques, qui consument lentement le bois et réchauffent directement l’air ambiant, moi, je le brûle violemment le bois, aussi vite et fort que je peux, et je stocke la chaleur produite par la combustion dans la matière qui m’entoure. Moi, c'est surtout de la brique, parce que je suis un poële du Nord, mais il y a aussi de la pierre, de la terre crue, de la faïence, et on aurait pu mettre n’importe quoi d’assez dense pour retenir la chaleur par inertie. L’avantage, c’est que je relibère ensuite la chaleur emmagasinée par rayonnement tel le petit soleil que je deviens. C'est tellement plus agréable comme sensation. Dixit les humains. Mais ce n'est pas tout, je la libère tout lentement cette chaleur, je peux tenir vingt-quatre, voire trente-six heures, sans nouvelle alimentation après une bonne combustion. C’est pratique quand l'irresponsable responsable de ma combustion fait la grasse mat après une soirée bien arrosée à l’alcool de topinambour. En prime, je sens que je frime un peu mais tant pis, c'est factuel, grâce à ma combustion à haute température, je brûle plus efficacement tout type de bois, en polluant moins, avec un rendement qui flirte avec les 90% ! Demandez à un poêle classique ce qu'il en pense ! À ce stade, vous vous dites « pas mal » — n'est-ce pas ? — mais ça doit être compliqué à fabriquer quand même... Même pas.

Je suis né ici même, fabriqué par des Ups qui n'y connaissaient rien du tout. Iels ont commencé par rassembler les matériaux qui me constitueraient. Quelques pierres taillées par des apprenti⋅es du coin pour la structure principale en contact avec les flammes, les briques les moins récupérables d’un vieux muret effondré pour la structure secondaire, des en un peu meilleur état pour la cheminée, quelques faïences artisanales pour un habillage étanche et classe, de la terre crue en enduit pour recouvrir le tout et les briques les mieux conservées pour faire des bancs chauffants sur mes côtés. Vous me verriez, je suis unique en mon genre, le digne produit des matériaux et savoir-faire locaux ! Un poêle picard jusqu'au bout des nuages.

Pour le montage les Ups ont récupéré et adapté des plans qu'on trouvait facilement sur le Web, il y en avait des tas sur l'extract de Reddit qui avait été dupliqué ici et là et qu'un Up avait sur un disque dur. Je répète ce que j'ai entendu, mais, là, j'avoue, je comprends rien. Comme tout poêle de masse, je suis composé d’un cœur de chauffe où se déroule la combustion, de circuits de fumées sinueux pour que la chaleur ait le temps d’être capturée, de clapets pour rediriger l’air chaud en fonction des usages et d’un conduit de cheminée pour évacuer les fumées froides. Ça c'est classique pour un poêle de masse. Mais tous les poêles de masse n’ont pas autant de fonctionnalités que moi. Je suis au dessus de la moyenne ! Sauf en terme de modestie, paraît-il. J’ai pas moins de quatre circuits pour envoyer l’air chaud ! Vers l’air ambiant, classique, vers des plaques de cuisson lente, vers des pierres qui peuvent être transportées dans les salles de bain par les plus frileux et, last but not least, vers un mini-four à pizza !

Une fois les plans terminés, me construire n'était pas très compliqué, en tous cas de mon point de vue, mais ça a quand même demandé pas mal de boulot, en tous cas de leur point de vue. Mais comme il y a plein de gens chouettes à l’Upload, prêts à s'investir, la promesse de pizzas n'y était pas pour rien, ça n'a pris que trois mois. Iels y ont mis du cœur à construire leur petit cœur ! Chaque participant·e a gravé son prénom et des petits dessins, il y a plein de cœurs, dans mon enduit en terre, ce qui fait de moi, en plus de tout le reste, une œuvre d’art collective. J'en suis pas peu fier !

Ma construction s’est conclue le premier jour de décembre par une grande fête pour célébrer le travail accompli... et, avouons-le, leur joie d’avoir enfin du chauffage. Ça commençait à cailler. C’était si émouvant de les voir si heureux, de quoi faire pleurer même un cœur de pierre comme moi !

CC BY-SA

D’après un texte original de Morgane Rigaud (2024), framablog.org, modifié par Stéphane Crozat (2025).