FDL : Une lecture de "Computer Lib / Dream Machines" (T. H. Nelson, 1974)

Xanadu et WWW : critiques mutuelles

Projet Xanadu VS. WWW

Ted Nelson doit sa renommée à son échec. À l'époque, Ted Nelson était sur le point de jouer un rôle fondamental dans la naissance du WWW[1]. Xanadu (fondé sur l’hypermédia et ses mécanismes) et le WWW[1] ont en effet initialement les mêmes objectifs : rassembler la connaissance humaine dans un système et permettre aux utilisateurs de naviguer entre les documents grâce aux liens hypertextes. Cependant, Xanadu a échoué face au succès du WWW[1]. Nelson pense aujourd'hui que cet échec n'en est pas un. En effet, il prétend que le web tel qu'il existe aujourd'hui est une version simplifiée de son idée originale, incomplète et hautement critiquable. Il prend donc du recul et se pose en critique de l'existant.

Transclusion complète et partielle

  • La principale critique que Nelson fait à toute l'industrie logicielle est que les documents numériques ne sont que des imitations des documents papiers. L’écriture reste donc séquentielle (jusqu'à un certain point) et ne reflète pas la pensée humaine.

  • Autrement dit, ce que reproche réellement Nelson, c'est l'absence de la transclusion sur le WWW[1]. En effet, sur le web, pour citer un article, il faut soit recopier les mots un à un, soit copier/coller l'ensemble. Cela suppose que les documents restent fixes (en termes de contenu) et comportent des liens hypertextes entre eux. Cette vision n'est pas très juste puisque la transclusion est aujourd'hui présente sur différentes plateformes du web et à travers différents mécanismes.

    1. La plateforme Youtube doit son succès à la transclusion. En effet, toutes les références faites aux vidéos Youtube (depuis Facebook, Twitter ou n'importe quelle page web) s'effectuent par transclusion. C'est une transclusion dite complète dans la mesure où les pages qui font ces références (via des liens hypertextes) apparaissent comme unifiées : elles intègrent les vidéos en leur sein et les références sont cachées à l'utilisateur.

    2. Les réseaux sociaux Twitter et Facebook usent de la translusion respectivement par les actions de retweet et de partage. En retweetant, un utilisateur intègre le contenu d'un tweet au nouveau tweet qu'il crée. Cela lui permet de commenter le tweet qu'il retweet, d'apporter son point de vue. De même, en partageant une publication Facebook, un utilisateur integre le contenu d'une publication à la nouvelle publication qu'il crée. Néanmoins, une différence non négligeable entre les deux transclusions est à noter : sur Twitter, elle est complète tandis qu'elle est partielle sur Facebook. En effet, sur Twitter, il est possible d’à nouveau retweeter le tweet que l'on a déjà retweeté. Le retweet est donc une action infinie permise par la transclusion. Elle génère un reseau de tweets sans limite et favorise les interactions entre utilisateurs grâce à cette référence. Sur Facebook, au contraire, les commentaires et les likes ne sont plus permis sur la publication partagée. Ils sont permis uniquement sur la nouvelle publication générée. Cela signifie que la transclusion est limitée entre deux documents (celui qui partage et celui qui est partage) mais ne va pas au-delà.

    3. Le framework Javascript AngularJS (front-end) utilise la transclusion. Il existe la directive transclude qui encapsule un template HTML. Dans ce template, l'utilisateur peut insérer n'importe quel autre contenu HTML. En d'autres termes, le fragment HTML est directement inséré dans le template défini par la directive.

    4. La balise iframe qui permet d’insérer directement une page html dans une autre via un lien hypertexte. On choisit l'endroit de cette insertion.

  • Sur le web, les liens sont donc généralement uni-directionnels. Il s'agit uniquement de textes ou images cliquables qui transportent les utilisateurs vers une nouvelle page. Sur Xanadu, les liens sont toujours bidirectionnels entre une région de texte et une autre. Chaque région peut-être la source ou la destination de plusieurs liens. Ces liens ne meurent jamais, même si le texte concerné est changé. Le web est en changement sur ce point puisqu'il intègre progressivement la transclusion.

Nouveau modèle économique

  • Nelson s'attache à établir un modèle économique fondé sur la transclusion. En effet, il propose un système de micro-paiements qui consiste à débiter l'utilisateur dès qu'il visionne une partie d'un autre document. Il s'agit donc d'un véritable dispositif pour régler la question des droits d'auteur : tout contenu produit sur Internet serait ainsi rémunéré. La problématique de la rémunération des contributeurs sur Internet est très actuel. D’après Nelson, le WWW[1] n’intègre aucun dispositif économique de ce type. Cette critique est recevable. Néanmoins, Tim Berners-Lee, le principal inventeur du WWW[1], a récemment incité les contributeurs du Web à trouver des moyens de paiement en ligne, autre que l'utilisation de cartes de crédits. Ces nouveaux moyens de paiement, comme les micro-paiements, permettraient aussi de résoudre la question de la rémunération des producteurs de contenus sur Internet.

  • Nelson a été jugé naïf et son ambition a été une des raisons de son échec. La principale critique que l'on peut lui faire est qu'il aurait fallu avoir, dans le système Xanadu, une copie de chaque document, livre, roman que l'on veut ensuite référencer avec une transclusion. C'est le principe de la centralisation de la connaissance humaine. Est-ce que les éditeurs auraient vraiment accepté une telle démarche ? De plus, Xanadu serait devenu une sorte de banque qui fournit l'information mondiale, ce qui est difficilement imaginable. Ce qui fait la pragmatique du Web, c'est sa décentralisation.

  1. WWW : World Wide Web

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