Dès lors que son écriture procède du computationnelle, l'auteur doit avoir conscience qu'il programme afin d'en garder le contrôle. En cela le principe du WYSIWYG ne peut pas s'appliquer à l'écriture computationnelle, puisque ce dernier vise précisément à masquer la dimension calculatoire du numérique pour simuler un ordre graphique. D'un autre côté le recours à un langage de programmation de bas niveau n'est pas non plus souhaitable, car il relève d'une pratique d'informaticien, qui requiert des compétences spécifiques (concepts, méthodes, langages...) et qui interfère avec la pratique d'auteur.
Le WYSIWYM a été pensé pour permettre un compromis entre la posture essentiellement sémiotique du WYSIWYG et celle essentiellement logique de la programmation informatique.
Le WYSIWYM consiste à associer aux contenus que l'on écrit des descripteurs qui les caractérisent pour paramétrer ce qu'un ensemble de programmes doit faire de ces contenus lors de leur restitution pour la lecture.
Toute écriture numérique procède d'un codage (inscription de l'information à transmettre sous la forme de chiffres binaires) et toute lecture d'un décodage (transformation des chiffres binaires enregistrés en signes interprétables). Dans le cadre du WYSIWYM l'idée est que ce codage ne se fait pas sur une dimension exclusivement sémiotique (comme pour le WYSIWYG), mais également sur une dimension calculatoire. Ce qui est codé, c'est à la fois du signe et du calcul. L'enjeu est de permettre au programme de lecture une plus grande variabilité dans la restitution du contenu pour mieux remplir des fonctions computationnelles comme le polymorphisme, le paramétrage ou l'interactivité.
Les descripteurs associés au contenu sont donc des symboles qui sont interprétés par l'auteur qui écrit pour exprimer une information relative au contenu qu'il écrit, pour préciser ce qu'il veut dire. Ce sont également des symboles reconnus par les logiciels de lecture ou de publication. Ces logiciels vont donc adapter la présentation du contenu sur le support de lecture afin de restituer un environnement sémiotique fonction du contenu et de sa description.
Les descripteurs concernent toutes les formes sémiotiques (textes, images...) et peuvent revêtir également plusieurs formes : textuelle, graphique, iconique... Un éditeur WYSIWYM est donc aussi un éditeur graphique, mais la forme qu'il adopte n'est pas contrainte par le respect de la forme finale qui sera publiée, et elle cherchera plutôt à optimiser l'acte d'écriture.
« Ainsi, avoir un éditeur qui met en forme en gras un texte qui a été déclaré comme "important" est simplement destiné à exploiter nos habitudes de présentation pour "faire sens" plus vite dans notre esprit : lire une balise <important> encadrant le texte est naturellement plus laborieux et surtout ne fait pas appel à nos "réflexes". De même pour la notion de paragraphe, de listes à puces, etc. Pourquoi ne pas exploiter la force de ces réflexes acquis ? Après, dans une publication donnée, que la puce de la liste soit un rond noir ou un carré rouge pour mieux se fondre dans une charte graphique, quelle importance pour l'auteur ? Le sens est là ! (Spinelli, 2006) »
DONNER UN EXEMPLE avec une interaction : WYSIWYG, WYSIWYM, codé (XSLT ou Js par exemple)
Cf exemple Exercice simplifié
indépendance vis à vis de la forme
logique de publication par l'éditeur dans plusieurs formats standard de lecture
ce sont plus souvent les éditeurs qui adaptent le contenu (principe de publication) que les logiciels de lecture qui s'adaptent
En 1999, alors que nous commençons à travailler sur ce qui deviendra Scenari, écrire sur un ordinateur, c'est écrire avec Word, Notre Word, comme d'autres auraient dit "Notre Ford". Tout le monde a appris à taper sur un clavier avec Word. Word est sur toutes les machines. Le Wordisme est une religion, vouloir faire autre chose est une hérésie. Nous sommes alors dans le meilleur des mondes, pourquoi en changer ?
« Our Ford himself did a great deal to shift the emphasis from truth and beauty to comfort and happiness [fr] (Huxley, 1932) »
Pour sacrifier un peu au confort donc, peut-être, aux habitudes certainement, pour rechercher de la « vérité »
du numérique, de son potentiel computationnel, et même, finalement, retrouver une « beauté »
perdue dans ces traitements de texte et éditeurs WYSIWYG qui modèlent encore tant de nos textes.
Le terme WYSIWYM a été retrouvé par Sylvain Spinelli en 2006. Nous cherchions - quotidiennement à l'époque, un peu moins souvent maintenant - à expliquer les choix ergonomiques faits pour l'interface et la logique d'édition dans Scenari. Celle-ci se démarquait fortement de la logique dominante, pour ne pas dire exclusive, du WYSIWYG, pour ne pas dire de Word.
Une préoccupation récurrente de nombreux nouveaux et futurs utilisateurs de chaînes éditoriales Scenari était de chercher comment concilier les avantages de celui-ci - polymorphisme, réutilisation, contrôle de la rédaction et de la publication -avec leur Word - c'est à dire une visualisation ancrée dans l'impression, un fichier monolithique, et une liberté totale d'écriture et de mise en forme. L'enjeu était de mettre en évidence la contradiction de ce discours. Le WYSIWYM ne peut se fonder que sur une déconstruction du WYSIWYG, c'est à dire une démonstration de l'opposition entre son principe technique et ergonomique d'ordre graphique et la recherche de certaines fonctions d'ordre computationnel. Pour exister, le WYSIWYM doit d'abord tuer Word.
OpenOffice commençait à peine à se faire une place (marqué en France par une adoption à l'assemblée nationale, l'armée, la gendarmerie en 2006 et 2007), Google Docs naissait tout juste (2006). L'édition Web était arrivée au début des années 2000 via les CMS (Drupal et SPIP en 2001, Wordpress en 2003, Joomla! en 2005) et puis les Wikis. Mais les pratiques étaient loin d'être ce qu'elles sont aujourd'hui. Les contributions Wikipédia par exemple se développent réellement entre 2005 et 2007. C'est aussi à cette période qu'émerge l'expression Web 2.0 et que commencent à se développer les pratiques de commentaires en ligne.
La première formulation du terme WYSIWYM remonte à un article de Power, Scott et Evans (1998). Le terme est utilisé alors pour What You See Is What You Meant, dans un domaine assez différent. Les auteurs cherchent en effet une solution pour éditer des bases de connaissance exprimées sous la forme de réseaux conceptuels, et ils explorent pour cela des représentations sous des formes documentaires interactives manipulables par les utilisateurs de type expert métier, sans compétence en programmation ou en représentation des connaissances.
Leur objectif est donc de faire réaliser des programmes (des bases de connaissances) par des non informaticiens (des spécialistes métiers). Pour cela ils proposent à ces utilisateurs un texte interactif (feedback text) dont la manipulation (ajout/suppression de phrases) modifie le programme (ajout/suppression de connaissances) qui modifie à son tour le texte. Le WYSIWYM naît donc à l'origine d'une mobilisation de l'écriture pour la programmation, alors que le WYSIWYM dont nous parlons consiste au contraire à réintroduire de la programmation pour de l'écriture. Mais dans les deux cas il s'agit bien de mobiliser la dimension computationnelle en articulation avec la dimension graphique. Et de fait les auteurs sont amenés à explorer les mêmes questions que nous.
Ils proposent notamment une caractérisation des traitements de texte WYSIWYG. Ces éditeurs permettent d'intervenir directement au niveau des caractères (graphémique), indirectement au niveau graphique (on peut changer la présentation des caractères, mais pas dessiner librement sur la page) et pas du tout au niveau sémantique (qui n'est qu'interprétable par l'homme à partir des deux niveaux précédents). Le WYSIWYM est alors défini comme le moyen pour les utilisateurs d'intervenir directement sur la couche sémantique, par la formalisation de connaissances.
Outre cette hypothèse fondatrice, on retrouve des principes structurants comme :
la génération de textes et de mises en formes à partir de formalisations informatiques et la production de formalisations à partir de manipulations graphiques ;
le contrôle via des ancres d'interaction (l'utilisateur n'intervient plus au niveau du caractère comme dans un traitement de texte WYSIWYG, mais à certains points définis au sein de la structure) ;
la modélisation (les outils sont d'emblée spécialisés pour un contexte métier, des procédures multilingues dans le cas présenté par les auteurs).
Ces travaux déboucheront sur l'application du WYSIWYM pour l'édition de document multimédia (Van Deemter and Power, 2000). L'idée est d'associer à la base représentant le contenu, une seconde base définissant sa forme et sa présentation. Le dernier pas est ainsi franchi pour passer de l'ingénierie des connaissances à l'ingénierie documentaire. Le premier usage du terme en ingénierie documentaire, accompagné de la suppression du t de Meant, est associé à l'éditeur LyX (Morère, 2001). LyX est un éditeur LaTeX qui s'inscrit dans le courant de l'écriture structurée (André et al., 1989). Il veut se démarquer de « la tradition périmée héritée de la machine à écrire (Morère, 2001) »
. La rupture principale apportée est la (re)séparation des tâches d'écriture et d'édition, qu'avaient fusionnées les traitements de texte WYSIWYG. Dès lors « le travail de typographie sera pris en charge en majorité par l'ordinateur, non par l'auteur (Ibid.) »
.
Le principe du WYSIWYM - associer explicitement des marqueurs aux contenus dans l'intention de programmer leur publication - remonte en fait aux origines des traitements de texte. En effet, avant le développement des interfaces graphiques dans les années 1980, les terminaux textuels ne permettaient par de mettre en forme dynamiquement le texte à l'écran ; la solution consistait alors à associer des caractères particuliers au texte pour programmer un rendu particulier lors de l'impression, par exemple, mettre une chaîne en gras ou en italique.
^YCeci est un texte en italique^Y |
L'écriture structurée - ou édition structurée - est une approche à la fois technique et méthodologique de l'écriture numérique dont on peut faire remonter l'origine aux technologies LaTeX (créé en 1982 sur la base du langage d'édition TeX, lui-même créé en 1978) et SGML (norme ISO depuis 1986, issue des travaux d'IBM initiés en 1979 avec GML). Tandis que le mouvement WYSIWYG cherche à dissoudre la structure du texte dans sa représentation graphique, l'écriture structurée cherche au contraire à conserver le principe du marquage explicite du contenu, grâce à un système de balisage qui serait à la fois intelligible par l'homme et par la machine.
\begin{document} \section{L'édition structurée} Le principe du WYSIWYM... \end{document} | <document> <section>L'édition structurée <paragraph>Le principe du WYSIWYM... </document> |
La nouveauté introduite par l'écriture structurée est que les balises ne cherchent plus à programmer directement une mise en forme (gras, italique), mais à expliciter la structure du texte (titre, résumé, paragraphe, mots importants...) : ainsi l'auteur mobilise les balises pour formaliser l'organisation de son texte, et cette formalisation est ensuite exploitée par un algorithme pour réaliser des mises en forme. Cette forme d'écriture écarte donc le graphique pour s'inscrire plutôt dans une forme de programmation ; et elle est bien reçue comme telle par les auteurs, qui, dans l'ensemble, la rejette également. L'écriture structurée reste alors une pratique circonscrite à des niches professionnelles au sein desquelles les avantages de l'écriture structurée - le contrôle typiquement - est déterminant : LaTeX pour l'édition scientifique, SGML pour la documentation technique. Dans tous les cas l'écriture structurée reste à ce stade une pratique d'experts formés spécifiquement pour (rédacteurs techniques), ou de "logiciens" dont les modes de raisonnement et d'écriture sont compatibles a priori (informaticiens, mathématiciens...).
Nous pouvons alors redéfinir le WYSIWYM comme le mouvement qui a conduit à réconcilier les pratiques d'écriture structurée avec les pratiques d'écriture ordinaire. Côté SGML, une des premières initiatives est l'éditeur Grif (Quint, 1987), côté LaTeX, LyX (Morère, 2001). Dans tous les cas, l'approche consiste à réintroduire du graphique au dessus du programmatique lorsque c'était possible. Et par ailleurs, les notions de modélisation et de spécialisation s'affirment lorsque les systèmes se frottent à la complexité consistant à rendre le plus accessible possible la couche de formalisation, pour des auteurs et non des programmeurs.
« Tout cela rend improbable la définition d'un modèle unique pouvant décrire n'importe quel document à un niveau d'abstraction relativement élevé. On pourrait évidemment tenter de dresser une liste d'entités d'usage général, comme les chapitres, sections paragraphes, titres, etc... et ramener les entités exclues de cette liste à celles qui y figurent. Ainsi une introduction pourrait être assimilée à un chapitre, une clause de contrat à un paragraphe ou une section. Mais en voulant élargir le domaine d'utilisation de certaines entités privilégiées, on risque de les vider de leur sens et donc de réduire la puissance du modèle. (Quint, 1987, p95) »
« Il paraît impossible de dresser un inventaire exhaustif de toutes les entités nécessaires et suffisantes pour décrire n'importe quel document. Il semble tout aussi impossible de décrire une fois pour toutes l'organisation de ces entités dans un document. C'est pourquoi, l'approche que nous avons prise s'écarte de celle utilisée dans certains systèmes de traitement de documents structurés [...] où les entités et leur organisation sont spécifiées de façon définitive. Nous proposons plutôt un méta-modèle qui permet de décrire de nombreux modèles, chaque modèle ayant une utilisation limitée à une classe de document. (Ibid.) »
C'est dans cette filiation que s'inscrit Scenari, en profitant des avancées apportées par les technologies XML à partir de 1998.
Le WYSYWIM est historiquement la recherche d'un compromis entre manipulation graphique et programmation, en fonction du contexte d'usage visé. Selon les fonctions computationnelles visées et la typologie des acteurs impliqués dans le projet d'écriture, le curseur entre logique et graphique sera renégocié. Mais l'hypothèse du WYSIWYG doit être abjurée : tout n'est pas soluble dans le graphique, il faudra programmer, un peu.
Un éditeur WYSWYM peut être vu comme un environnement de programmation de très haut niveau (au sens informatique), c'est à dire où l'on manipule des structures logiques proches du monde sensible, ici proche des manifestations sémiotiques recherchées, où l'on favorise l'interprétation par l'humain sur le calcul par la machine. Et un éditeur WYSIWYM peut également être vu comme un outil d'écriture traditionnelle augmenté de fonctions de programmation explicite. Il reste essentiellement sémiotique tant cela est possible, il repose sur une logique de programmation déclarative de haut niveau de préférence à une logique de programmation algorithmique.
Ainsi les balises qui supportent la structuration du texte dans un éditeur WYSIWYM ont une valeur sémiotique, elles sont des méta-données (des informations sur le texte lui même), et elles sont d'ailleurs généralement restituées graphiquement à la publication (les mots importants seront mis en forme en italique ou en gras, les définitions seront préfixées d'une étiquette, d'une couleur ou d'une icône). Mais les balises ont également une valeur logique, elles sont des paramètres de programmation, des instructions.
Le WYSIWYG a constitué une étape fondamentale pour l'adoption de l'ordinateur comme outil d'écriture, en faisant la jonction entre le monde du graphique et le monde du computationnel. Mais il a aussi contribué à paupériser les pratiques éditoriales : d'une part en transférant les métiers de l'édition sur les auteurs, appauvrissant la qualité graphique des textes ; et d'autre part en prétendant adresser de façon uniforme la totalité des pratiques d'écriture, de la lettre personnelle mono-page aux documents professionnels de plusieurs milliers de pages. Il butte aujourd'hui sur de nombreux obstacles qui relèvent du computationnel : pluralité des supports, interactivité, accessibilité...
L'enjeu est aujourd'hui de dépasser cette étape, et le WYSIWYM constitue un candidat sérieux à la passation de pouvoir.
En ayant dégagé l'écriture du contenu de sa forme de restitution finale, il devient possible d'écrire pour plusieurs supports de publication à la fois.
L'écriture de contenus interactifs, implique une programmation de cette interactivité qui, fondamentalement, ne relève plus du graphique.
Le paramétrage implique par définition que le contenu affiché dans le logiciel n'est pas ce qui sera vu par le lecteur, puisque cette visualisation dépend justement de paramètres.
L'universalité du numérique permet la fusion du contenu avec ses métadonnées, que ce soit pour enrichir l'édition (identification, datation, géolocalisation...) ou faciliter la gestion (licences, mots-clés...).
L'auteur n'a pas en général les compétences de l'éditeur dans la manipulation des outils de composition graphique. Dans de nombreux cas, ce n'est pas la liberté ou la compétence graphique de l'auteur qui est recherchée, mais plutôt une standardisation et une optimisation des productions permettant d'en contrôler l'écriture, la lecture, la gestion.
La transclusion est la possibilité pour un premier document informatique de référencer un second document (ou fragment de document) de façon à l'afficher comme s'il était inclus dans le premier.
le multimédia
la scénarisation
l'accessibilité
l'instantanéité
la glose
...
Finalement la plupart des fonctions du numérique, en tant qu'avatars du computationnel, font émerger des situations où le graphique du WYSIWYG montre ses limites, et où se construisent les dispositifs d'écriture WYSIWYM.
L'accessibilité marque, en principe, la fin du WYSIWYG, c'est à dire qu'elle montre en quoi il est épuisé dans son principe même et ne peut plus répondre aux mutations de l'écriture numérique. Or le le WYSIWYM semble pouvoir répondre à ces injonctions, comme le montrent par exemple les résultats du projet CAPA, qui a permis de construire des chaînes éditoriales WYSIWYM qui garantissent l'accessibilité des contenus produits.
George R. R. Martin, l'auteur de A Game Of Thrones (Le trône de fer) a expliqué dans une interview utiliser un ordinateur déconnecté sous DOS pour écrire sous WordStar 4.0, parce qu'il voulait un traitement de texte, qui ne fasse "rien d'autre", qui ne lui fournisse aucune assistance, aucune distraction, aucune interférence avec son écriture (Holly, 2014).
Le roman et l'écrivain restent ces figures de l'écriture prise dans son sens premier, la représentation d'une langue au moyen de signes, ici alphabétiques, sans dimension multimédia, ni computationnelle d'aucune sorte, avec une structure réduite au minimum, les paragraphes et les chapitres. Une écriture qui se moque du calcul, des lettres qui n'ont rien à calculer. Comme souvent les cas limites de ce genre nous renseignent sur nos pratiques ordinaires. |
Source : http://www.geek.com |
Sylvain Spinelli écrivait en 2006 que le WYSIWYM relevait d'une « démarche inhabituelle [qui] nécessite un travail d'abstraction de la part de l'auteur qui en fonction des situations peut-être contre-productive, car inutile compte-tenu du type d'information à produire (simple, linéaire et statique) et de son exploitation (un seul support associé) »
. L'ancrage de la dimension computationnelle dans la pratique de l'auteur exige de fait un effort supplémentaire, puisqu'il s'agit d'écrire tout en programmant. Or il existe des situations, comme celle de l'auteur de roman, qui ne cherchant pas à bénéficier de la dimension calculatoire, ne souhaitent pas en payer le prix. On remarquera que cette exigence conduit George R. R. Martin à rejeter les outils WYSIWYG modernes, déjà trop habités de calculs pouvant interférer avec son écriture. En alternative à l'usage de systèmes minimalistes ou de systèmes des années 1980, il me parait plus fécond de considérer la possibilité de configurer des environnements d'écriture adaptés, c'est à dire réduits à ce que l'auteur souhaite exprimer en terme de structure et de calcul, y compris presque rien donc.
Nous proposons de considérer une application des environnements d'écriture WYSIWYM dans une logique de juste nécessaire, que l'on peut décliner selon deux hypothèses :
un éditeur WYSWIYM doit être configuré contextuellement à une écriture de façon à minimiser la perturbation et l'apprentissage inhérents à la dimension computationnelle ;
un éditeur WYSIWYM doit permettre de sortir du computationnel pour s'immerger pleinement dans l'écriture dès que c'est possible.
« L'approche WYSIWYG amène nécessairement l'auteur à se préoccuper de la forme et du résultat final. On connaît bien la surcharge cognitive et la perte de temps que cela entraîne, Powerpoint étant un must en la matière. (Spinelli, 2006) »
Si le WYSIWYG tend à plonger celui qui écrit dans un maelström de fonctions de mise en forme qui nuisent à son activité, le WYSIWYM porte en lui un risque du même ordre, en transférant du côté du calcul la charge qu'il a abandonnée du côté de la mise en forme. Or l'enjeu est de pouvoir se concentrer sur l'écriture et d'éviter de perdre du temps sur des manipulations contre-productives, qu'elles relèvent du graphique comme de la programmation. La spécialisation des éditeurs WYSIWYM permet de répondre à cet enjeu.
La spécialisation consiste à construire un éditeur spécifiquement pour adresser un contexte d'écriture donné : par exemple un éditeur de recette dans un restaurant sera différent d'un éditeur de documentation technique dans une industrie et d'un éditeur de cours dans une université. Par ailleurs, au sein de chaque contexte, les fonctions sont elles mêmes contextualisées : l'écriture d'un cours est différente de l'écriture d'un exercice, l'écriture d'une procédure est différente de la description d'une machine. Or pour réaliser un éditeur spécialisé de la sorte, il faut être capable d'en faire un modèle, c'est à dire d'en formaliser les fonctions, pour les anticiper et les rendre disponibles lorsqu'elles sont nécessaires, et, dans la mesure du possible, uniquement à ce moment là.
Les outils WYSIWYG peuvent difficilement s'inscrire dans cette logique car la mise en forme relève d'une pratique informelle difficilement modélisable. En revanche la dimension structurelle de l'écriture WYSIWYM est beaucoup plus facile à représenter formellement et à contrôler automatiquement. Il existe des outils WYSIWYM généralistes, comme LyX, des éditeurs HTML, ou XML basés sur des schémas standard comme Docbook, qui ne s'inscrivent pas non plus profondément dans cette logique de spécialisation. En revanche des outils comme Scenari sont totalement spécialisables.
« Connaissant le contexte métier de l'auteur, le modélisateur peut spécifier l'environnement d'édition juste nécessaire pour permettre à l'auteur de produire son information. De ce fait l'outil s'adapte à l'auteur et non l'inverse, et ceci est un des points fondamentaux qui rendent l'approche WYSIWYM réaliste (Spinelli, 2006). »
Exemple Sc 3 éditeurs ()
Exemple Sc contexte dans un cours
Tandis qu'un éditeur généraliste est prêt à l'emploi, un éditeur spécialisé nécessite une étape de modélisation préalable, qui a un coût. Plus un éditeur est généraliste, plus la charge cognitive du côté de l'auteur est élevée (étant donné un certain spectre fonctionnel) ; plus un éditeur est spécialisé plus l'investissement en terme de modélisation est élevé (ainsi que le coût de maintenance de cette spécialisation). Il y a donc un rapport entre cet investissement et le bénéfice en terme de réduction de la charge sur les auteurs qui doit être évalué chaque fois, avant de procéder à une spécialisation. Le bénéfice est évidemment à mesurer pour chaque écrit produit par chaque auteur. Ainsi un écrit correspondant à une structure graphique et/ou computationnelle originale, sera en général mois favorable à la spécialisation que des écrits qui obéissent à des schémas récurrents.
Le modèle Scenari-Opale est le modèle le plus répandu dans la communauté Scenari. Or il est un contre exemple du point de vue de la spécialisation. En effet, le modèle fait l'union de ses nombreux contextes d'usage : cellules de rédaction universitaires, centres de formation professionnels, enseignants du primaire et secondaire, approches classiques expositives, approches plus appliquées, évaluation... Autant de milieux et fonctions qui le rendent de fait très généraliste. Il présente donc les mêmes avantages et défauts que les éditeurs WYSIWYM généralistes : il est prêt à l'emploi, mais il demande un investissement plus important en terme d'apprentissage et de charge cognitive à l'usage.
La modélisation implique une formalisation préalable à l'écriture, c'est à dire qu'elle suppose un modèle de structure identifiable qui pré-existe à l'écriture. Si cette hypothèse se vérifie pour la plupart des écrits ordinaires, qui répondent de fait à des codes et cadres déjà existants, il existe des cas où la structure s'invente en même tend que le contenu, par exemple dans le contexte de la littérature numérique ou du marketing. Dans un tel cadre la modélisation et la formalisation qu'elle impose sont contre-productives, puisqu'elles limitent ou ralentissent la créativité recherchée. De tels écrits mobilisent en général des éditeurs de bas niveau graphique, c'est à dire qui permettent d'intervenir à un niveau inférieur à celui du caractère, comme les outils de dessin vectoriel ; et/ou des outils de bas niveau informatique qui permettent de mobiliser des langages de programmation aux spectres très ouverts. Des technologies représentatives de ces modalités sont historiquement des outils comme Adobe Director puis Flash (et son langage ActionScript), et à présent HTML5 et la suite de technologies intégrées : SVG pour le vectoriel, Canvas pour le bitmap ou CSS et JavaScript pour la programmation.
Le WYSWIYM, en réintégrant la dimension computationnelle de l'écriture numérique, porte un risque de déplacement de l'attention sur la structuration, voire sur la programmation. Dans un environnement d'écriture Scenari, il est typiquement possible de se retrouver avec un contexte fonctionnel assez dense permettant de structurer, de fragmenter, de contrôler, de visualiser, de collaborer. Scenari permet de mettre le focus sur l'édition d'un fragment (une partie du texte), mais l'on pourrait souhaiter un environnement qui soit plus spécifiquement dédié à l'écriture du texte, avec un paramétrage différent en termes graphiques et une épuration fonctionnelle plus poussée. Du côté de la lecture, on retrouve cette approche dans la presse en ligne (interface zen du monde.fr) et au sein des liseuses électroniques.
Le premier écran présente un environnement d'écriture WYSIWYM Scenari complet. Le second montre l'interface d'écriture que j'utilise majoritairement, qui se limite à l'écriture d'une sous-partie du texte. Le troisième serait une vue "Zen" - ou une vue "Martin" - très épurée, qui pourrait être activée pour maximiser la concentration sur l'écriture.
La structuration inhérente au WYSIWYM suppose une projection dans son écriture, qui est cohérente avec les phases les plus en aval d'un processus éditorial, lorsque le projet a déjà pris une certaine forme. En revanche, pour les phases plus en amont, cela peut se révéler contre-productif. La phase d'idéation typiquement consiste à stimuler l'émergence des idées au début d'un projet, tout en les organisant petit à petit. L'idéation est aujourd'hui par exemple instrumentée avec des outils de mind-mapping (Framamind) ou des tableaux blancs collaboratif (Scrumblr). Si nous travaillons pour le moment sur des passerelles possibles entre ces outils et les chaînes éditoriales WYSIWYM (Hdoc Converter), il sera certainement intéressant que ces dernières intègrent des environnements d'écriture permettant la malléabilité et la dé-structuration nécessaires à l'idéation, tout en s'intégrant avec les phases suivantes de structuration.
L'abstraction et la description de la structure est ce qui permet à la machine de calculer, la représentation graphique est ce qui permet à l'homme d'interpréter. Or il est des structures fondamentalement graphiques, pour lesquelles la recherche d'une abstraction ne fonctionne pas, c'est à dire que ce n'est pas efficiente (le rapport entre l'effort demandé à l'auteur et le gain en terme de manipulation n'est pas intéressant), voire n'est pas possible (l'auteur en cherchant à abstraire perd sa capacité d'expression). On citera deux exemples : les schémas et les tableaux. Pour ces deux cas typiquement graphiques il existe quelques situations pour lesquelles il est intéressant de proposer des éditions WYSIWYM, par exemple des schémas de procédures organisationnelles ou des tableaux de comptabilité. Mais en général les éditeurs WYSIWYM gagnent à repasser dans un mode purement WYSIWYG (dans Scenari cela se manifeste par l'intégration d'objets LibreOffice Calc et Draw, deux outils de dessin, vectoriel et tabulaire).
À l'inverse, on observe dans d'autres cas la nécessité de passer dans un mode de programmation de plus bas niveau. Certaines fonctions ne s'instancient que dans une couche de programmation plus explicite que celle habituellement mobilisée dans le WYSIWYM. Ainsi, pour programmer des scénarios complexes au sein de la chaîne éditoriale Topaze - multiplicité des chemins possibles, passages conditionnés, personnalisation des messages - il est nécessaire que l'auteur manipule des outils informatique, tels que des variables ou des conditions de type « si alors sinon ».
Dans cet exemple de type « livre dont vous êtes le héros », (1) un quiz permet de demander au lecteur s'il est un garçon ou une fille ; (2) puis d'instancier une variable « Genre » en fonction de la réponse à la valeur 1 (garçon) ou 2 (fille) ; (3) puis de calculer un texte en fonction de cette variable, ici le mot « fou » ou « folle » ; (4) pour enfin utiliser ce texte calculé : « Je suis impressionné par tes compétences de jardinier, jeune #fou(lle) ».
« Pour conclure : cela fait 20 ans maintenant que l'approche WYSIWYG est mise en oeuvre (avec des moyens financiers colossaux), aboutissant à une très grande maturité et stabilité technologique. Mais des nouveaux besoins massifs de gestion/diffusion de l'information combinés à l'avènement de l'interactivité et du multimédia mettent en évidence les limites intrinsèques de cette approche. (Spinelli, 2006) »
« le WYSIWYM est un concept émergent sur le quel nous avons encore peu de recul et peu de moyens ont été investis. Les précurseurs de cette approche sont les éditeurs historiques en ligne de commandes, mais la non exploitation de la force de la représentation graphique les cantonnent dans des milieux spécifiques où l'abstraction est reine : les math et l'informatique. Je crois profondément que WYSIWYM intégrant la dimension graphique est le ticket gagnant sur lequel il faut aujourd'hui investir ! (Ibid.) »